Une petite histoire pour illustrer cette présentation ?

Il advint, en des temps forts reculés, une contrée où la science des cœurs et des âmes était plus prise que l’or et les joyaux. Cette terre, appelée Sentimantica , était gouvernée non point par des princes de guerre, mais par un sage roi, Algorim le Pensif, qui, à la lueur de ses grimoires anciens, s’était voué à déchiffrer les arcanes des émotions humaines.

En ce royaume se trouvait un art mystérieux, nommé par les anciens l’Opinionerie . Cet art, transmis par les érudits du Temps Jadis, permettait de sonder les cœurs des hommes et de comprendre le chant secret des émotions qui les habitaient. On disait que, par la magie des mots et l’étude du langage, le peuple de Sentimantica pouvait discerner si une âme éprouvait joie ou colère, espoir ou désespoir, et ce, à travers les simples paroles ou missives qu’elle prononçait. L’Opinionerie était si puissante qu’elle distinguait les cœurs vrais des cœurs faux, les esprits sereins des esprits tourmentés.

Un jour, une missive parvint au roi Algorim, émanant d’un villageois inconnu du nom de Cornel, vivant aux confins du royaume. La lettre disait ceci : « Ô grand roi, il est en mon cœur une émotion que je ne puis nommer, une ombre mouvante qui tantôt m’apporte joie et tantôt me plonge dans un abîme de désespoir. D’aucun ne dit que cette émotion vient du souvenir d’un jour enfui, d’autres affirment qu’elle est née de quelque démon extérieur. Que la science des sentiments puisse éclairer ma route, car je suis perdu. »

Le roi, touché par cette supplique, convoqua son plus éminent opinionnier, maître Verbeclair, dont l’esprit était affûté telle une lame, et lui dit : « Va, lis entre les lignes de cette missive, et dis-moi quel mal ronge le coeur de Cornel. »

Verbeclair, muni de son Ars Sentimentalis , un tome ancien écrit de la main des anciens savants, se mit à l’œuvre. Il plongea dans les mots du villageois, les scrutants tels des trésors enfouis. À mesure qu’il lisait, ses sourcils se fronçaient, car l’émotion que Cornel décrivait ne se laissait point saisir facilement. Était-ce la colère, la peur, ou bien un sentiment encore plus obscur, échappant aux classifications usuelles de l’Opinionerie ?

Après de longues heures passées dans la réflexion, Verbeclair retourna au roi. « Majesté, dit-il d’une voix grave, ce sentiment qui habite Cornel est ce que nous appelons L’Immanente Ombre , une émotion rare qui oscille entre la lumière et les ténèbres, entre le souvenir du passé et l’angoisse du futur . Ce sentiment, tantôt doux, tantôt âpre, naît de l’âme même de l’homme, mais il est amplifié par les échos du monde extérieur. C’est une émotion fluide, impossible à fixer, et pourtant révélatrice de ce dont l’âme a véritablement besoin. »

Le roi Algorim, fort pensif, demanda alors : « Mais, maître Verbeclair, comment Cornel peut-il apaiser cette Ombre changeante qui le hante ? » Le sage opinionnier répondit : « Il lui faut nommer cette émotion. L’ancienne sagesse dit qu’en nommant le trouble, l’homme le réduit à sa véritable nature, le dépouillant de son pouvoir de terreur. Mais pour ce faire, Cornel doit s’ouvrir à cette émotion, non la fuir, et enrichir le vocabulaire de son cœur pour mieux comprendre ses propres tourments. »

Le roi acquiesça et fit porter à Cornel ce conseil précieux. On raconte qu’après avoir reçu la réponse royale, le villageois se mit à observer chacune de ses émotions, les nommant à haute voix dans la solitude de sa demeure. Peu à peu, l’Ombre se dissipa, et il trouve dans cette pratique une paix longtemps désirée.

Et ainsi, en la terre de Sentimantica, l’Opinionerie prospéra encore, car elle enseignait que toute émotion, qu’elle fût agréable ou désagréable, n’était autre qu’un message portant des nouvelles secrètes de l’âme elle-même.

Et telle est la leçon de cette étrange histoire : celui qui connaît le nom de ses sentiments peut trouver, même dans la plus grande confusion, le chemin vers la clarté et la sérénité.